Tout le monde a senti, à un moment où un autre de sa vie, le délicieux goût de cette attirance immorale….l’attirance en soi est toujours délicieuse, mais quand l’amitié se pose comme barrage, elle l’est encore plus et lui rajoute un goût d’extrême interdit…tout le monde, à un moment ou un autre de sa vie, a connu cette sensation fulgurante.
Une fraction de secondes, ça dure une fraction de seconde, comme une éclair qui traverse l’esprit. Dans cette même fraction de seconde, ce même esprit balaie dans une explosion de bon sens et de morale cette attirance et la renvoie aux méandres de notre inconscient, méandres desquels elle n’aurait jamais du sortir….mais parfois, cette fraction de seconde dure légèrement plus, et l’explosion est inaudible……..
Nous sommes 5 amis, Au fond d’un restaurant, discutant joyeusement, argumentant bruyamment, fumant exagérément et buvant immodérément…
Il y a le couple B&B qui l’espace d’une soirée par mois, redevient le couple de fous furieux de ma jeunesse avant que les enfants, le boulot, et les responsabilités ne viennent à bout de leur insouciance.
Il y a aussi D (sans sa femme cette fois), joyeux compagnon, phénomène de la nature, foncièrement impertinent, passionnément passionné, outrageusement drôle.
Il y a bien sûr mon irremplaçable A, toujours prompte à participer à toutes les manifestations d’insouciance, de joie et de plaisir.
Il y a moi…..
Le serveur s’approche craintivement de la table de forcenées…..Il attend un moment de silence pour placer sa requête. Lorsqu’il se rend compte qu’il n’est pas prêt de l’avoir, il se jette à l’eau en espérant ne pas s’attirer nos foudres qui risquent d’être aussi énergique que notre discussion.
Serveur : « Excusez-moi, vous avez fait votre choix… »
C’est la qu’on remarque les menus déposés devant nous depuis au moins une vingtaine de minutes, à peine vais-je exiger un délai supplémentaire que la douce B la femme annonce :
B la femme : « nous attendons encore deux personnes, merci »
Moi : « ah bon !! »
B l’Homme: « il y a F qui nous rejoint….avec sa nouvelle fiancée ».
Fiancée, il n’y a que pour F qu’on utilise ce terme…F est notre ami à tous les cinq, il a connu notre groupe à son âge d’or, il y est resté fidèle après de son inéluctable décrépitude. F est intelligent, cultivé, honnête....Nous avons tous une affection sincère pour F et il nous la rend bien, mais F a un trait qui nous étonnera toujours : F est un authentique romantique peut-être même le dernier des romantiques….F est comme on dirait en quête perpétuelle d’amour à tel point qu’à chaque fois, il croit l’avoir trouvé.
Il s’accroche aux femmes avec une rapidité déconcertante. c’est toujours la même histoire, il trouve quelqu’un (assez facilement vu qu’il est loin d’être moche), sort le premier soir, au deuxième soir il en est déjà attaché, le troisième soir il l’appelle 26 fois après l’avoir déposé pour lui dire que c’était génial et lui souhaiter bonne nuit. Et au bout du quatrième soir il nous la présente déjà avec un cérémonial à chaque fois solennel utilisant différents termes mais renvoyant implicitement et invariablement vers ceux-ci : « Les amis je vous présente….la femme de ma vie ».
A chaque fois ça se termine d’une façon ou d’une autre…
Malgré nos arguments, vannes, moqueries, explications, F ne change pas….nous avons passé des soirées entières à nous payer sa tête, d’autres auraient failli ou nous auraient renié pour moins que ça, pas F.
F est cohérent, il s’assume pleinement : « vous croyez que parce que vous me charriez que je vais changer…je veux VRAIMENT trouver quelqu’un, mais je veux que cette personne m’aime parce que je suis capable d’aimer…je pourrais passer mes échecs sous silence, ne vous présenter personne, ça m’évitera vos sarcasmes….mais si je continue à le faire, c’est que la personne qui partagera ma vie, partagera aussi la votre, partiellement, mais la partagera quand même, parce que vous êtes mes amis et mes amis ça compte »
Nous avons tous pour F une affection réelle, et il nous la rend bien.
F débarque enfin, il est accompagné comme prévu, et avec son air de circonstance : Un grand sourire, les yeux rieurs et l’impression de nous dire avant même d’avoir ouvert sa bouche: « Je l’ai trouvée ».
Passées les présentations de circonstance avec E, je constate qu’elle ne colle avec les fréquentations habituelles de F.
Généralement, les fiancées de F aussi physiquement différentes qu’elles soient, avaient toutes un air de famille : plutôt mignonnes, assez réservées, mais surtout elle me donnaient toujours l’impression d’être un projet d’épouse, et qu’elles étaient déjà auréolés de l’invisible voile de leur robe de noces.
E était résolument différente, elle n’avaient pas spécialement de beaux traits ni un quelconque détail marquant, on aurait pu la considérer somme toute comme une fille « banale »…mais elle dégageait quelque chose de différent, de spécial. Peut être un excès de sensualité ou de féminité, je ne sais pas, mais quelque chose de spécial tout de même.
Les présentations faites et les CV partagés, D comme à son habitude, les poussa jusqu’à la situation de chacun : « Alors pour l’historique, B est marié avec B puisqu’elle a fait la bêtise de rompre avec moi, ma femme (dieu merci) est en déplacement à l’étranger. A est avec tout le monde mais il ne faut pas lui dire car elle est susceptible, et lui il est seul comme toujours»
Cette phrase fuse, comme un reflexe, de la bouche de E : « ah bon, pourtant on dirait pas !! »
Et là, au fond de l’éclat de ses yeux, j’ai su. Ce n’était ni féminité, ni sensualité, c’était bien pire. C’était ce qui m’avait toujours achevé chez les femmes : Le Vice.
F s’empresse de lui expliquer mon impuissance émotionnelle alors que D se fait un devoir de réfuter la chose et de renvoyer plutôt vers le secret de mon impuissance physique…le couple B se hasarde à confirmer l’une et l’autre.
Moi, je m’apprêtais à lancer le duel…un croisement furtif des yeux, des pupilles étincelantes, un regard vite détourné….la partie avait déjà commencé et tout ce dont j’avais peur, c’était de gagner…
Une partie d’escrime ou nous avancions masqués, de F bien sûr mais aussi de tous les autres….depuis cette phrase, la table avait cessé d’exister, et notre duel s’annonçait violent…à coup de verbe.
Moi : « alors comme ça vous êtes dans le ….. »
E : « et dans plein d’autres choses… »
Moi : « c’est toujours bien de diversifier ces activités »
E : « oui, mais il faut toujours garder un cœur de métier »
Moi : «il me semble que dans votre cas c’est déjà fait »
E : « et dans le votre ???»
Moi : « en tant que salarié, c’est au gré de mes employeurs, ils font leur choix réfléchis…je m’exécute»
E : « Je n’aime pas ça, ne pas avoir le choix»
Moi : « c’est comme un cœur de métier, ne plus avoir le choix».
E : « oui mais ça a plein d’avantages…sécuriser le périmètre, pérenniser l’activité, projection sur le long terme... »
Moi : « pour le moment ou pour l’instant, je n’y vois que des inconvénients »
E : « c’est mon travail, de gérer les inconvénients »
Moi : « et c’est le mien que de bénéficier de ces avantages».
Discussion professionnelle…Ton détaché…visage sérieux…. il y a des étincelles qui ne mentent jamais.
On s’ignore pendant de longues minutes, on discute avec tout le monde, on mange, puis au hasard d’un sujet, on croise le fer….touché, encore touché, égalité, match nul, très nul…on en profite pour parler par personnes interposés….je m’adresse à D, elle lui répond…F distribue des sourires fières à droite et à gauche, heureux qu’il est de la voir s’intégrer si rapidement….touché, retouché, égalité, match nul, très nul.
E s’excuse pour aller aux toilettes, j’attends 3 minutes et j’y vais en espèrent l’y rejoindre ou plutôt en espérant ne pas l’y trouver….elle est à l’intérieur, je patiente en face de la porte des toilettes vides pour hommes…..E sort
E : « vous aussi ??? On est synchros on dirait ce soir»
Moi : « vous avez bonne mémoire? »
E : « excellente »
Moi : « 06X XX XX XX, appelez moi un de ces quatre, on aura tout le temps de vérifier si on est synchros ou pas ».
Elle part, je rentre aux toilettes…la gorge nouée : Culpabilité qu’ils l’appellent.
La mienne est de la pire espèce. Ce n’est pas une culpabilité de rédemption, la mienne est culpabilité de dépit…un sentiment permanent auquel mes actes ne pourrait remédier…je culpabilises de ne pas culpabiliser, je culpabilise de ne pas me poser de questions, je culpabilises parce que tout me paraît si simple, je culpabilise de ne pas culpabiliser...
Pendant la fin de la soirée, on ne s’adresse pas la parole avec E, je continue mes discussions, je subis les vannes de D, le regard perplexe de A, le sourire de F et la fatigue naissante du couple B.
Pendant la fin de la soirée, je dissèque mon être pour savoir à quel moment j’ai cessé d’être ce que je devrais être. Comment ça avait commencé et pourquoi est-ce si irréversible…
Nous payons, nous sortons, je fais la bise furtivement à E avec un standard « un plaisir », je prends ma voiture et je fonce chez moi en essayant d’oublier cette soirée et en espérant qu’elle m’oublie aussi.
Presque arrivé, mon téléphone sonne, un SMS, numéro ne figurant pas sur mon répertoire :
« X Rue……, Résidence….., Quartier ……/ Signé : E »
C’est précisément en ce moment, alors que pendant toute la soirée je me refusais d’y penser, que cette panique me prend. Pendant toute la soirée, j’éludais cette question, maintenant qu’elle est inéluctable, ma panique s’accroît : Sont-il là ?
Tremblante, ma main droite se lance vers la boîte à gant….grand soulagement, sourire narquois, ils sont là…..les préservatifs sont bien là.